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LE PALAIS DORE


        Tservan remballa sa corde. Il aurait bien pu la laisser sur place, mais il n'était pas du genre à abandonner quoi que ce soit au hasard. Quelqu'un - ou quelque chose - aurait pu la trouver et s'en emparer. Il se dressa sur ses deux jambes, avec une certaine fierté, loin au-dessus de tout le monde. Seules les innombrables petites étoiles jaunes que faisaient les flammes des lampes à huile, plus de trois cents coudées plus bas, témoignaient de la présence de la cité, en cette nuit d'automne. L'Aster avait disparu derrière l'horizon depuis longtemps, et avait commencé à accomplir la deuxième partie de son voyage quotidien, laissant la place à ses petites soeurs, les étoiles. Tservan prit un instant pour contempler les constellations qu'elles formaient, et daigna accorder un regard aux autres formations célestes qui étaient les vivantes preuves de la véracité du Livre.
        Plus tôt aujourd'hui, il songea qu'il avait eu un regard vers ce même ciel, regard que Totsven - son complice - avait eu lui aussi, sans savoir que c'était la dernière fois qu'il verrait le ciel diurne. Et l'on avait alors pu apercevoir l'oeil orange de Sazel en plein jour, un mauvais présage... Puis ils s'étaient avancés dans le dédale des rues de l'Ancienne Cité. Et seul lui, Tservan le Rusé, avait su les traverser vivant jusqu'aux murs du Palais Doré. Il leur avait fallu déjouer maints pièges et affronter de nombreux périls pour que, finalement, un seul d'entre eux ne posât le pied sur la plus haute corniche de l'antique palais. Mais il était là, fourbu et blessé autant dans son âme que dans sa chair, mais satisfait à la perspective du magot qu'il allait emporter, s'il remplissait sa mission. Et le plus dur était fait, selon lui. Il fit en sorte, comme tout à l'heure, de ne pas se sentir affecté par la mort horrible de son ex-complice, car cela aurait pu entamer sa détermination.
        Il sortit le plan que lui avait fait parvenir son patron, qui avait tout fait pour conserver l'anonymat, pour le consulter une dernière fois.. Il se demanda encore comment celui-ci avait pu se le procurer.
        Quand il fut satisfait d'avoir retrouvé ses repères à cette hauteur vertigineuse, il replia le document - qui avait l'air récent - et le remit à sa place dans son sac de peau, sur son dos. Il se mit alors en marche, le long de la corniche qui dominait la cité. Le bâtiment, comme il avait pu s'en rendre compte d'en bas, était beaucoup plus grand que ce qu'il paraissait, vu de la cité, et le trajet, sur cette corniche large d'un pas, lui parut très long. Mais il parvint finalement entre les anciennes gargouilles qui marquaient la présence d'une fenêtre, plus haut. Tservan entreprit d'escalader le dôme du Palais et parvint devant cette fenêtre qui lui parut assez grande pour laisser entrer par là une légion entière. Il s'y glissa et déroula à nouveau sa corde car, comme l'indiquait son plan, la fenêtre ouvrait sur un à-pic qui donnait sur les profondeurs mystérieuses du Palais.
        Il se félicita finalement d'avoir tenu compte des indications du plan et d'avoir choisi une corde particulièrement longue, même si celle-ci l'avait passablement encombré jusqu'ici, ce qui avait failli lui coûter la vie, car il descendit vraiment profondément. Il crut que cette descente n'en finirait jamais et qu'il allait arriver au bout de sa corde, suspendu au-dessus d'un vide infini et noir, mais ses pieds touchèrent finalement un sol de pierre, qui devait se trouver au niveau de l'Ancienne Cité. Il vit que sa corde était presque au bout lorsqu'il alluma l'une des torches sommaires qu'il avait emporté avec son briquet à pierre, et appréhenda le moment où il devrait grimper jusqu'à son sommet.


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