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        Le taxi arriva à l'heure - autant qu'il put en juger.
        C'était un véhicule tout à fait classique. Une voiture break comme il en avait vu maintes fois, bien que celle-ci n'ait aucune marque visible. Ç'aurait aussi bien pu être une voiture française qu'une allemande. Mais elle semblait parfaitement normale, n'étaient-ce les vitres fumées qui l'empêchaient de distinguer quoi que ce soit à l'intérieur.
        La porte arrière droite s'ouvrit, sans qu'il put entendre le plus infime déclic. Il s'approcha prudemment et entra sans trop faire de manières. Une vitre opaque le séparait du chauffeur. A peine fut-il installé sur le siège que la porte se referma d'elle-même; fermement, mais sans claquer.
        Et la voiture se mit en route, avant même qu'il eût demandé telle ou telle destination.
        Il protesta tant qu'il put, frappant la vitre de ses poings et hurlant des menaces. Mais le break dans lequel il était embarqué poursuivait sa route vers une destination inconnue. Il tenta d'ouvrir une portière, mais la poignée restait irrémédiablement bloquée.
        La voiture avançait sans à-coups. Il essaya de voir la ville à travers les vitres, mais celles-ci étaient aussi opaques de l'intérieur que de l'extérieur.
        Il était comme un mort dans son cercueil, au fond d'un corbillard. En fait, à bien y réfléchir, il n'était même pas certain de ne pas être seul dans cette voiture.
        Le trajet lui parut durer une éternité. Mais le véhicule s'immobilisa enfin, et la portière s'ouvrit pour le laisser sortir. Au dehors il faisait toujours nuit, et sa montre continuait d'indiquer minuit, à moins qu'elle n'indiquât rien d'autre que son incapacité à indiquer une quelconque heure en ce monde.
        Il descendit de la voiture. La portière se referma et le break repartit pour disparaître dans la nuit.
        La rue dans laquelle il se trouvait à présent ressemblait en tout point à celle dans laquelle il avait attendu le taxi; Un moment il pensa que ce dernier l'avait ramené à son point de départ. C'est alors qu'il se rendit compte qu'à la place de la cabine téléphonique se trouvait maintenant une porte.
        Etait-ce l'entrée d'une boîte de nuit, ou d'un cabaret? Sa forme était caractéristique: un grand coeur. Il s'ouvrait sur de profondes ténèbres, impénétrables de là où il se tenait. Curieux, il s'avança.
        Même après avoir fait quelques pas au-delà de son seuil, il ne parvenait toujours pas à voir ce qui se trouvait derrière cette porte. Il pensait avoir un briquet sur lui, mais il n'en trouva pas dans ses poches. Cependant, alors même qu'il cherchait, une lueur naquit au milieu de nulle part, illuminant les environs et révélant quelque chose d'extraordinaire.
        La pièce dans laquelle il se trouvait, par quelque sublime jeu de miroir, semblait ne pas avoir de limites, dans aucune direction, bien que l'entrée en forme de coeur fut toujours visible si il se retournait. Le plafond comme le sol étaient faits d'une matière translucide qui donnait l'illusion presque parfaite d'absence. Il fit encore quelques pas, s'émerveillant de l'impression de marcher au milieu d'un vide éclairé d'une lumière rosâtre. Il ne parvenait pas à comprendre d'où provenait cette lumière.
        Il était en pleine méditation lorsqu'une apparition vint briser son extase. Il était sur le point de tout comprendre au moment où son âme bascula.
        La silhouette d'ordinaire colorée et agréable de la fille était sombre et inquiétante. Lorsque son regard plongea dans le sien il sentit sa volonté - une énième fois, mais la dernière - flancher. Il prit alors seulement conscience de l'impossibilité de sa quête: obtenir l'amour de cette fille. Sans même en avoir eu conscience elle l'avait poussé avec douceur jusqu'au bord de l'abîme de la folie.
        Et aujourd'hui elle se présentait à lui sous sa forme la plus redoutable: celle d'une fille si différente de lui qu'elle l'avait poussé à changer plus vite qu'il ne l'aurait du; un vampire qui pouvait très bien se passer de sang puisqu'elle n'avait pas conscience de son état.
        Le vide s'ouvrit sous ses pieds. Cette fois il lui parut beaucoup trop réel et n'avait plus rien de merveilleux. Il engouffra son âme d'un seul coup, et tout le reste fut englouti avec.
        Dans sa descente, le rose prenait une teinte nettement plus rouge.
        Le rouge sanguin des joues empourprées par la honte, le regret. Celui, aussi, des flammes d'un enfer réservé à ceux qui sont aveuglés par leurs illusions.


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