Retour à l'accueil                                                          Retour au menu
page 1 - page 2 - page 3


        Le premier réveil fut difficile. A tel point que Ogu se demanda si le breuvage qu'on lui fournissait ne contenait pas des substances quelconque. Il avait l'impression de n'avoir dormi que quelques instants, mais le soleil se levait juste sur la ville et il estimait s'être endormi peu après midi la veille.
        Dés qu'il put ouvrir complètement les yeux, il contempla le lever du soleil qui offrait un spectacle saisissant vu d'ici. Toutes les nuances d'un jaune pale s'étalaient d'un horizon à l'autre et plongeaient la ville dans un bain qui paraissait presque liquide. C'était magnifique et Ogu resta longtemps dans son fauteuil à en profiter. Rien ne l'obligeait à se lever. Il savait qu'il aimerait ce privilège. Néanmoins lorsqu'il se leva il ressentit une légère douleur aux reins et il se dit que la prochaine fois il mettrait le siège en position allongée lorsqu'il sentirait le sommeil arriver.
        Il s'étira et soupira en songeant à la chance qu'il avait d'être ici. Il fit quelques pas avant de reprendre place dans le fauteuil.
        La journée passa en un éclair. Les suivantes aussi.
        Ogu enchaînait les activités sur son fauteuil. Il avait découvert, à son grand dam, que la position allongée n'était pas prévue sur son fauteuil. Cela le contraignait, chaque matin, à faire des mouvements de gymnastique pour faire passer la douleur qui gagnait chaque jour du terrain, dans le bas de son dos. Ça s'atténuerait avec l'habitude, pensait-il. De plus il n'y avait guère de place pour s'exercer, et impossible de déplacer le fauteuil qui était solidement fixé et branché au centre de la cloche.
        Le casque offrait une panoplie d'activités particulièrement variées. Musiques, films, jeux, onirama... Les prochaines années s'annonçaient bien. Et puis il n'avait plus jamais à subir la mésaventure de la première fois.


        Une nouvelle semaine s'écoula, puis d'autres, qui se transformèrent en mois.
        A présent le mal de dos d'Ogu était devenu intolérable. Le matin il avait terriblement du mal à s'extirper du fauteuil, et ses mouvements de gymnastique ne faisaient qu'accroître la douleur. La journée il n'osait plus passer trop de temps sur le fauteuil. Il commençait parfois une partie d'échecs contre l'ordinateur, mais la douleur finissait toujours par l'empêcher de se concentrer. Et il devait interrompre ses parties de plus en plus souvent. Alors il se tenait debout face à la ville, les mains massant ses reins. Il avait oublié depuis longtemps de quelle direction il était venu, et même le soleil et les étoiles ne lui permettaient plus guère de se repérer. Il avait d'ailleurs finit par préférer les journées où le temps était couvert, car il n'avait pas alors à supporter l'indécente lumière du soleil qui l'aveuglait lorsqu'il ôtait le casque. La paroi de la cloche le protégeait certes des rayonnements et de la chaleur, mais pas de la lumière si crue de l'astre du jour. Cependant lorsqu'il faisait un temps très clair il avait remarqué qu'il apercevait d'autres colonnes. Mais elles étaient si lointaines qu'elles semblaient aussi petites que des épingles dans le paysage. Au sommet il distinguait vaguement la cloche en forme de champignon. Il se demandaient lesquelles de ses cloches abritaient d'autres ermites comme lui. Il se demandait aussi s'ils avaient aussi mal au dos que lui.
        Il se demandait souvent pourquoi ces cloches n'avaient pas été mieux conçues. Pas de place, pas de possibilité de s'allonger. Il n'était pas sportif, mais faire quelques pas en courant ne lui aurait pas déplu de temps en temps.
        Un autre phénomène l'interpellait. Il lui arrivait de plus en plus souvent de regarder la trappe d'entrée. Et chaque jour il avait la curieuse impression que son contour se réduisait. C'était certainement une illusion d'optique due à la lumière trop intense du soleil, mais il ne pouvait s'ôter cette impression de la tête.
        Il avait prévu de passer de nombreuses années ici afin de se reposer du monde extérieur qui grouillait sous ses pieds de manière si vaine et désespérante. Un jour, l'ordinateur, dans le casque, lui indiqua que c'était son centième jour ici. Il se réjouit que cela soit passé si vite.
        Lorsqu'il travaillait en ville les journées passaient les unes après les autres, sans lui laisser le temps d'en profiter, et pourtant les ennuis semblaient avoir un effet ralentisseur. Chaque journée de labeur s'éternisait de manière accablante. Et puis tout le monde semblait si agité en bas. C'en était épuisant. Pas moyen de s'amuser sans avoir à subir le brouhaha et le fourmillement vicieux de la fête. Ici il prenait enfin son temps. Et lorsqu'il en aurait assez, hop, la trappe, et retour au monde ! Il n'était pas pressé d'y retourner.

page 1 - page 2 - page 3