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SOUS UNE CLOCHE


        "Eh bien voilà monsieur Ogu, ce sera donc votre cloche, puisque vous l'avez choisie"
        Vue d'en bas, la colonne avait l'air gigantesque, se perdant presque dans les nuages de pollution de la ville. Il n'en avait encore jamais vu de si près, c'était si impressionnant, au pied de la colonne. Mais il était interdit de les approcher. Bien sûr certains ne s'en privaient pas, mais Ogu n'aurait jamais osé lui. La porte était ouverte. Plus qu'un pas et...
        La porte se referma derrière lui, si silencieusement qu'il ne s'en rendit pas compte. Et l'ascenseur hydraulique s'éleva lentement vers la cloche qui l'attendait depuis si longtemps. En était-il content ? Il ne savait pas. Soulagé en tout cas. Désormais les soucis de ce monde lui seraient étrangers. Des bulles bleues et noires l'accompagnaient dans son ascension. Ici c'était presque l'obscurité, mais en haut il verrait la lumière comme jamais il ne l'avait vue.
        La montée lui parut interminable. Elle eut pourtant une fin.
        La cloche avait beau ne faire que deux mètres de diamètre, elle lui parut gigantesque, avec le ciel qui occupait tout son horizon et la ville à ses pieds. Il fit un seul pas et se trouva au bord d'un vide saisissant. Mais bien sûr la paroi cristalline faisait obstacle à sa chute. Il soupira d'aise en contemplant le spectacle grandiose de l'urbanisme. Jamais il n'avait ressenti cela. Lui qui avait cette aversion pour la civilisation, il voyait enfin la ville sous son bon angle. Ça ressemblait presque à un paysage naturel. Des collines grises se chevauchant presque jusqu'au pale horizon. Et entre les collines scintillaient les tubes dans lesquels circulaient les gens. D'ici, impossible de les distinguer. C'était beau.
        Il resta longtemps absorbé à regarder le monde qu'il venait de quitter avant de se retourner pour voir un peu mieux l'intérieur de sa cloche de vie. La trappe par laquelle il était arrivé s'était refermée avec le même silence que la porte de l'ascenseur. Seul son contour restait visible. Et juste à côté d'elle se trouvait le fauteuil. Il était confortable de toute évidence. Ogu prit son temps, tournant un peu autour, avant de se décider à s'y installer pour la première fois. Il y passerait l'essentiel de son temps désormais. D'agréables moments.
        Il s'enfonça bien au fond et contempla le ciel tout en caressant les accoudoirs. Un bien-être invraisemblable s'empara de lui. Juste sous l'accoudoir il trouva le bouton dont on lui avait parlé. L'accoudoir s'ouvrit en même temps qu'un casque venait se poser sur sa tête. Dans l'accoudoir il découvrit les nombreux boutons, aux couleurs de l'arc-en-ciel, qui lui souriaient presque, lui promettant d'infinis moments de sérénité et de joie. Il en pressa un et un tuyau vint jusqu'à ses lèvres. Il lui suffit de les tendre pour goûter au délicieux mélange qui se mit couler dans sa gorge. En jouant avec les boutons il pouvait en varier la saveur.
        Mais il ne fallait pas abuser des bonnes choses. Il décida de se relever un peu. Il appuya sur un bouton. Il y eut un grincement étrange et le casque remua. Il le sentit brusquement se serrer sur son crâne, puis ne plus bouger. Le sang battit à ses tempes. Une angoisse lui vint. Quelque chose n'allait pas. Le casque restait coincé sur sa tête. Que fallait-il faire ? Il souffla intensément et devint rouge. Personne ne l'entendait ici. Bien que sa tête fut coincée, il parvint à baisser les yeux pour chercher s'il y avait un bouton d'appel quelque part. Mais rien. Heureusement le casque se débloqua et retourna dans sa loge.
        Ogu soupira. Sans doute le casque n'était il pas encore bien huilé. Il devait servir pour la première fois, probablement. Il prit une inspiration et se redressa. En à peine un pas il se retrouva à nouveau au bord du vide. Son nez heurta même la paroi si nette qu'elle était invisible. En se mettant à quatre pattes il se pencha pour voir jusqu'où son angle de vision lui permettait de voir sous la cloche. Difficile de bien se rendre compte. La colonne qui le soutenait était bien entendu invisible sous le sol métallique de la cloche. En collant sa joue à la paroi transparente il parvint vaguement à distinguer la rue qu'il avait empruntée pour arriver ici, mais sans plus.
        En faisant quelques pas autour du fauteuil il remarqua que, quelle que soit la direction dans laquelle il regardait, la ville semblait la même. Il s'assit à nouveau dans le fauteuil et le fit pivoter. Son impression ne changea pas. Partout les collines anguleuses des bâtiments et les tubes de transport semblaient dessiner le même motif. Il ferma les yeux pour faire disparaître cette curieuse illusion d'optique.
        D'une pression sur le bouton, il remit le casque. Cette fois il mit de la musique et se laissa bercer par une douce mélodie. Le sommeil vint rapidement.

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